« Kaooooru ! Viens, on va jouer sur la route ! »
Reira n'avait pas besoin de beaucoup pour entraîner son frère dans ses envies. Surtout quand il s'agissait de jouer et de s'amuser. Elle était dans ses moments là, toujours la première à partir au quart de tour, toujours la première à sourire. Quoiqu'on les voie déjà tous les trois, elle, Kaoru et Shinobu comme des cas à problèmes, des enfants qui finiraient mal. Mais grâce à l'acharnement de Shinobu, de leur ange de grande sœur, ils n'avaient jamais manqué de rien tous les deux.
« Écartez-vous de là ! Vous allez vous faire écraser ! »
« Attrapes nous alors ! »
Un éclat de rire, une cavalade jusqu'au toit, un jeu un peu trop poussé, des taquineries dangereuses puis rien.
« Elle… Elle a pas volé ? C’est tout rouge… Pourquoi ? Pourquoi elle bouge plus ? Onii-chan ! Pourquoi elle bouge plus ? »
Du rouge. Encore, encore, encore. Seulement le rouge qui enveloppe toute la vision de Reira. Ce rouge sang et ces yeux. Ces yeux ouverts, terrifiés. Vides. Ces yeux qui ne la toiseront plus jamais. Les larmes montent dans les yeux, bien vivants eux, de la petite fille. Elle ne comprend pas. Pourquoi sa grande soeur ne bouge-t-elle plus ? Pourquoi elle ne se relève pas comme d'habitude ?
« - Onii-chan, elle bouge plus ! Pourqu…
- On jouait juste, Reira… On jouait… Shino… Shinobu est tombée…
- Mais c’est pas vrai… On… On a…
- Elle est tombée. »
Les gens ont crut son grand frère. Il l'avait cru alors qu'elle savait bien que c'était de sa faute. Sa faute à elle et ses conneries si Shinobu n'était plus là. Comme elle en voulait à Kaoru. Comme elle lui en voulait d'avoir mentit. De la forcer à vivre, jours après jours, secondes après secondes son meurtre. Son acte. Sa poussée trop forte sur le corps de sa sœur. Sa descente interminable, de plus en plus interminable au fur et a mesure qu'elle grandi avec ce poids sur les épaules. Avec un boulet invisible. Ce démon invisible qui sème le chaos dans sa tête. Qui lui cri jour après jours les mots
« Monstre ! Assassin ! ». Les mots qu'elle aurai aimer qu'on prononce pour elle. Contre elle.
« Mais merde Kaoru! Quand est-ce que tu vas me lâcher ?! »
Reira a seize ans maintenant. Elle a découvert des joies qu'elles ne pensaient jamais découvrir. Celle de la drogue. Ces poudres qui lui font oublier ses hontes. Son incapabilité à mettre fin à sa vie. Son cerveau en miette qui ne pense de façon correcte qu'une fois sur cent. La drogue qui l'a fait gueuler contre son ombre, contre son grand frère qui ne la quitte jamais. Quoiqu'elle fasse, elle a toujours la preuve de son acte sous les yeux. Un cœur peut-il arrêter de marcher correctement ? Peut-il se casser ? Peut-il ne plus savoir aimer correctement les gens qui nous sont chers ? Elle se pose cette question à chaque fois que ces yeux se posent sur son frère. Quand elle le dévore du regard en espérant naïvement, honteusement, ressentir la même chose qu'avant son mensonge. Qu'avant qu'il ne ruine sa vie.
« Tu ne comprends vraiment rien ! Je fais encore ce que je veux quand j'ai envie que tu le veuilles ou pas ! Et voir Shin en fait parti ! »
Shin... Son si gentil Shin. Un dealer qui lui offre ce qu'elle veut, qui lui montre que même les jouets cassés peuvent encore aimer. Même si c'est malsain. Même si c'est étrange. Leurs façons de se dire
« Je t'aime » dans la violence, entourés d'autres personnes, toutes aussi défoncés qu'eux. Et au milieu, Kaoru qui ne comprend pas, qui ne pourra jamais comprendre. La joie qu'on ressent en tenant un flingue contre la tempe d'un inconnu, l'excitation d'une torture, le bonheur de voir la douleur partir en comprenant que les actes commis il y a longtemps sont normaux.
« Sale pute ! Casse toi, je ne veux plus jamais avoir affaire à une salope telle que toi ! »
Une pute, elle ? C'est sûrement vrai puisque Shin le dit. Shin ne ment jamais.. Même quand elle vient de flinguer le frère de son amant régulier. Même quand un rire fou sort de ses lèvres. Il faut croire qu'elle n'est faite que pour ça... Pour tuer. Comme une machine de guerre programmée pour ça. Séduire, embobiner, tuer. Encore et encore.
« On va rentrer à Kérès. Je ne suis plus la bienvenue au Japon, on se barre ! »
Elle ne connaissait pas un mot de coréen, Kaoru non plus qui l'avait tout de même suivi dans son changement de pays. Dans sa décision de fuir l'homme dont elle avait tué le frère et qu'elle avait peut-être aimé. Dans sa décision de fuir Shin, ce chef Yakuza qui voulait maintenant sa tête sur une pique sanglante.
L'arrivée avait été rude. Elle ne connaissait pas la langue, venait d'entrer dans une organisation terroriste et n'avais pas un sou en poche. Heureusement que Kaoru était là. Heureusement que mes amis de toujours la drogue et les hommes étaient là. Sinon, elle serait définitivement timbrée. Reira serait peut-être morte ? Rien ne le sait puisque malgré sa répulsion, elle continuait de tuer pour Kérès quand on le lui demandait.
« Je suis sale ! Je suis un monstre ! Pourquoi j'aime tuer ? Pourquoi je suis aussi fêlée ?! Hein ! Pourquoi ?! »
La guerre est finie, Kérès n'est plus. Reira pleure dans sa chambre seule. Encore une nuit avec un homme. Un de plus. Encore une nuit où elle a vu sa sœur tomber de se toit sans fin et croiser en chemin, une à une, ses victimes. Elle est paumée. Encore stone à cause de ses drogues ingérées par paquet la veille. Ou à cause de l'alcool ? Reira pleure pour la guerre, son seul repère tangible à ce moment là, qui vient de disparaître. Elle pleure mais rejoint les enragés. C'est bien là que sont tous les camés et les paumés comme elle non ? C'est ici que les fous, les meurtriers et les salopes comme elle se retrouve ? Comme toujours, Kaoru est là. Pour toujours, elle l'espère même si jamais Kaoru ne l'entendra prononcer ces mots. Elle l'aime à sa façon tordue. Sa façon brisée d'aimer.
« Je ne suis qu'une poupée brisée... Un jouet cassé, recassé et recollé. Je ne suis rien si ce n'est une fêlée. Je suis Andô Reira »